Le RCT, laboratoire du rugby moderne : jeu, stars et ferveur en héritage

29 juin 2025

cofstoulon.fr

Un club pas comme les autres : Toulon, creuset du rugby populaire

Parmi tous les clubs de rugby français, le Rugby Club Toulonnais (RCT) a toujours cultivé sa différence. Bien au-delà de la rade, son nom rime avec ferveur populaire, stades bouillants et victoires flamboyantes. Mais réduire le RCT à sa passion et à ses supporteurs serait une erreur : au fil des décennies, il a influencé en profondeur le jeu, l’organisation et même l’image du rugby français… et international. Retour sur une “ovalisation” à la sauce toulonnaise.

Quand la tradition s’électrise : le fameux “jeu à la toulonnaise”

Jusque dans les années 2000, le rugby français avançait souvent sur deux jambes : d’un côté la tradition du “jeu à la française”, mouvement, relance et imprévisibilité; de l’autre, l’âpreté physique du rugby de clocher. Toulon, longtemps réputé pour son “paquet d’avants” robuste, a systématiquement misé sur un rugby physique, tranchant, mais aussi spectaculaire.

  • La “fameuse mêlée toulonnaise” : Déjà dans les années 1980-90 sous la houlette des “fadas” historiques, la mêlée toulonnaise terrorisait les packs de France et d’Europe. Le surnom de “Pilou-Pilou” n’est pas un hasard : il illustre cet esprit guerrier, un brin folklorique, mais redoutablement efficace.
  • L'élargissement du jeu : Sous le coaching de Bernard Laporte (2011-2016), Toulon devient bien plus qu’une citadelle rugueuse ; il ouvre largement le jeu, dynamise les lignes arrières (Wilkinson, Giteau, Habana…), invente les premiers “turn-over stars” et modernise le rugby hexagonal.

En 2013-2014 notamment, le RCT aligne presque 4 essais par match en Top 14 et en Champions Cup (statistiques EPCR, Top 14, Rugbyrama). Cette "double identité", alliant la rudesse de l’avant à la virtuosité des arrière, sera reprise et copiée par de nombreux clubs du Top 14.

L’ère des galactiques : Toulon pionnier de la "Dream Team" à la française

C’est LE bouleversement qui a redessiné le paysage du rugby français. À partir de 2009-2010, avec Mourad Boudjellal à la présidence, le RCT va déclencher une révolution : recruter, comme au Real Madrid des galactiques, les meilleures stars mondiales pour construire une équipe cosmopolite.

  • Jonny Wilkinson (Angleterre) : arrivée en 2009, impact technique, mental et marketing sans précédent. Il inscrit 1 784 points sous le maillot rouge et noir (statistiques RCT, LNR).
  • Matt Giteau (Australie), Bryan Habana (Afrique du Sud), Juan Martín Fernández Lobbe (Argentine), Bakkies Botha (Afrique du Sud)… Le “RCT version internationale“ devient la référence des années 2010.

Cet afflux de stars a trois conséquences majeures :

  1. Il tire vers le haut l’ensemble du Top 14, chacun voulant son Wilkinson ou son Botha. Les budgets du championnat, qui étaient à moins de 10 millions d’euros pour la plupart des clubs en 2009, dépassent les 20-30 millions (chiffres LNR, France Bleu, 2022).
  2. Il impose une nouvelle exigence professionnelle : diététique, préparation physique, suivi médical, analyse vidéo... Le rugby français sort de l’amateurisme, Toulon en tête.
  3. Il donne au Top 14 une attractivité internationale inédite. Toulon, champion d’Europe trois années de suite (2013-2014-2015), devient le club phare du continent. Le stade Mayol devient, au même titre qu’Old Trafford ou le Camp Nou, une “destination” pour tout fan de rugby.

Inspiration tactique : la défense, l’intelligence de jeu, le “Wilko style”

L’effet Wilkinson, ce n’est pas qu’un style ; c’est une révolution de fond. En se plaçant comme un stratège à la charnière du jeu, Wilkinson imbrique la défense individuelle (plaquages bas, montées rapides en ligne) à une gestion tactique “à l’anglaise” : occupation du terrain, pénalités chirurgicales, gestion des temps faibles. Toulon, qui fut longtemps un club tout en panache, devient aussi un modèle d’intelligence tactique :

  • La montée défensive rapide : technique reprise et copiée par nombre de clubs français et élites européennes. Toulon l’utilise systématiquement lors de ses trois finales de Champions Cup victorieuses.
  • Gestion du score / Money time : Dans les phases finales, Toulon affiche un ratio de 90% de victoires sur des scores serrés (Rugbyrama, records RCT, 2012-2015).
  • Le jeu au pied d’occupation, version ultra-maîtrisée : Wilkinson, puis Halfpenny, font du jeu au pied une arme fatale. Une école qui inspire l’Irlande, le Leinster, le Racing 92 et même le Stade Toulousain des années post-2017.

Mayol et la “Pilou-Pilou Mania” : L’effet “public partenaire”

Autre dimension : la fusion entre le club et son public. Bien avant la mode des supporters en tribunes, Mayol cultive depuis les années 1950 une ferveur unique - poussée à son paroxysme lors des grandes années européennes. Le “Pilou-Pilou”, ce cri tribal lancé avant chaque match, est repris, copié, admiré : il explose dans les stades français et fait entrer la culture rugby dans une nouvelle ère, celle de l’événementiel et du spectacle total.

  • Jusqu’à 18 200 spectateurs à Mayol, soit 125% de la capacité théorique lors des grands matchs (source : LNR, Var-Matin).
  • Le record du nombre d’abonnements pour un club du Top 14 au milieu des années 2010.
  • Un “modèle supporter” exporté : le chant, la présence active, les tifos sont repris au Racing 92 (arena), au Stade Rochelais et même dans certains clubs anglais (Leicester, Northampton).

Les clubs se sont mis à intégrer de plus en plus les passions de leurs fans, parfois même dans le recrutement des joueurs ou le développement des boutiques officielles.

Un modèle économique à part : vers la “rugby entertainment company”

L’arrivée de Mourad Boudjellal n’a pas seulement eu un impact sur le recrutement. Elle a transformé le club en une véritable entreprise de spectacles sportifs. Le modèle économique du RCT inspire ensuite le rugby français :

  • Merchandising tous azimuts : en 2015, selon L’Équipe, le RCT dégage 3,4 millions d’euros sur sa boutique officielle (maillots, produits dérivés), soit le double de la plupart des autres clubs français.
  • Développement de l’hospitalité VIP, du “hospitality business” : +159% de recettes événementielles entre 2008 et 2018 (Rapport de la Ligue nationale de rugby).
  • Création de contenus audiovisuels : série “Inside RCT” sur YouTube, contenus exclusifs pour les réseaux sociaux, création du “RCT Café”, etc.

Ce modèle, à mi-chemin entre l’entreprise de spectacle et la start-up sportive, influence directement la stratégie de clubs comme le Stade Français Paris (ère Savare), le Racing 92 et, plus récemment, l’Aviron Bayonnais ou le Stade Rochelais.

Côté terrain : formation hybride et transmission d’un style

Longtemps perçu comme un club de “vieilles gloires” ou de stars importées, le RCT commence à réinvestir la jeunesse locale et la transmission : résultats visibles dès la fin de la décennie 2010.

  • En 2017, 17 joueurs issus de la formation locale alignés en Top 14 lors de plusieurs rencontres clés (statistiques FFR, RCT).
  • Création du “Centre d’entraînement Bernard Laporte” en 2018 : véritable outil d’innovation, de formation technico-tactique et d’intégration des sportifs de haut niveau.
  • Un “mélange toulonnais” entre recrutement international, transmission du « fighting spirit » local et innovation permanente dans la préparation.

Cette hybridation gagne ensuite le rugby français : la majorité des clubs, ayant copié le modèle star-system, cherchent ensuite à construire une formation locale solide, tout en gardant une attractivité pour les grands noms. Un équilibre complexe, que Toulon expérimente, parfois dans la douleur, mais qui constitue aujourd’hui le socle du rugby pro.

Anecdotes et chiffres clés pour briller en tribune

  • Le RCT a été le (2013, 2014, 2015). Personne ne l’a imité depuis. (Source : EPCR)
  • En demi-finale européenne 2014, le RCT explose le record d’audience de France 2 pour un match de club : plus de 4,2 millions de téléspectateurs (Baromètre Médiamétrie).
  • En 2015, 14 nationalités étaient représentées dans l’effectif pro : record pour un club de rugby français à l'époque.
  • Le “Pilou-Pilou” a été entonné à l’Opéra de Toulon… et, en 2014, dans une salle de l’Assemblée nationale (Var-Matin, Rugbyrama).

Les ombres au tableau et la nouvelle ère

L’influence du RCT n’est pas exempte de critiques. Les voix s’élèvent régulièrement contre la « galactisation » du rugby qui aurait, selon certains, fait baisser la place des jeunes locaux (Lire : “La révolution Boudjellal a-t-elle tué l’âme toulonnaise ?” — Le Monde, 2017). D’autres soulignent que la surenchère financière imposée par Toulon a conduit à la fuite des jeunes talents dans les divisions inférieures ou à l’étranger. Le défi actuel est donc clair : concilier héritage populaire, exigence de résultats et responsabilité vis-à-vis de la formation. Le départ de Mourad Boudjellal en 2020 a ouvert une nouvelle page, peut-être plus équilibrée, où l’incroyable héritage du “Grand RCT” continue néanmoins de dicter l’agenda rugbystique français… et d’inspirer, souvent, la planète ovale !

Quand Toulon inspire le monde : un style, un business, une ferveur contagieuse

Toulon a dépassé le simple rôle de club à succès pour devenir une référence, un cas d’école du rugby moderne. Sa capacité à réinventer le jeu, à fédérer une ville, à attirer les stars mondiales et à inventer le spectacle “total” a transformé autant le Top 14 que la perception du rugby à l’international. Loin d’être figé, son modèle évolue, questionne, se remet en cause. Il reste le plus bel ambassadeur de ce que le sport, à Toulon comme ailleurs, doit sans cesse : innover, partager et inspirer.

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