Jazz à Toulon : énergie, héritage et métamorphoses d’une scène qui (se) joue des codes

17 juin 2025

cofstoulon.fr

Les racines du jazz sous le soleil toulonnais

Le jazz ne résonne pas qu’entre les berges du Mississippi ou dans l’effervescence de Montmartre. À Toulon, cette musique, qui a traversé océans et décennies, s’est tissée une place bien à elle. On la retrouve dans l’histoire du port, dans le souffle des vents marins, mais aussi dans les notes acidulées des clubs, et jusque dans le cœur du public. Pourtant, la présence du jazz à Toulon n’est pas toujours celle à laquelle on s’attend. Elle navigue entre fierté affichée, militance culturelle et nouveaux défis. Tour d’horizon.

Une tradition enracinée : festivals, clubs et institutions clés

Difficile d’évoquer le jazz à Toulon sans faire mention, en lettres capitales, du Festival Jazz à Toulon. Incontournable rendez-vous estival, initié en 1990 sous l’impulsion de la ville (source : Ville de Toulon), il réunit chaque année plusieurs dizaines de milliers de passionnés place de la Liberté et dans divers quartiers de la métropole. Ce festival ne se contente pas d’inviter des pointures internationales (China Moses, Manu Dibango, Biréli Lagrène y ont notamment joué), il s’attache aussi depuis quelques années à soutenir les talents locaux, dans une programmation qui refuse la tiédeur et les carcans.

  • Le chiffre à retenir : plus de 30 000 spectateurs chaque été se pressent aux concerts du festival (source : France Bleu, données municipales).
  • Originalité : la plupart des concerts sont gratuits et itinérants, investissant aussi bien les places publiques que des lieux inattendus.

Mais Toulon, c’est aussi toute une constellation de lieux où le jazz s’épanouit plus intimement. Le Jazz Corner Café, institution bien connue du quartier du Mourillon, accueille régulièrement des jam sessions où étudiants, amateurs et musiciens confirmés dialoguent jusque tard dans la nuit. Autre repère, l’Art Bop Café, avec sa programmation pointue et ses afterworks jazz qui dynamisent le centre-ville. Le jazz y survit, parfois à contre-courant d’une conjoncture difficile pour les petits lieux live, mais jamais à contre-cœur.

Des artistes toulonnais à la conquête du jazz

La scène jazz toulonnaise n’est pas qu’un terrain d’accueil pour les têtes d’affiche en tournée. Elle est aussi un vivier de musiciens locaux, dont plusieurs ont marqué la scène régionale et nationale.

  • Didier Fréboeuf : pianiste explorateur, il participe à de nombreuses formations régionales et s’est produit jusqu’au Marseille Jazz des Cinq Continents. Élève du Conservatoire TPM, aujourd’hui pédagogue reconnu.
  • Le groupe Sphère : jazz fusion résolument moderne, projet né à Toulon, lauréat de tremplins régionaux.
  • Guillaume Bouthié : contrebassiste, compositeur et arrangeur, passé par le CNSM de Paris mais enraciné dans le tissu associatif varois.

On retrouve aussi, de façon moins médiatique mais tout aussi significative, de jeunes formations issues des écoles de musique de la Métropole Toulon-Provence-Méditerranée (Conservatoire TPM), dont l’atelier jazz accueille chaque année plus d’une cinquantaine de stagiaires. La relève se prépare, portée par une vision décomplexée et décloisonnée du genre : ici on mélange standards, répertoires latins, électro, et musiques méditerranéennes.

Jazz et public : une passion de plus en plus transgénérationnelle ?

Le mythe du public jazz, grisonnant et élitiste, résiste-t-il à Toulon ? Les chiffres semblent dessiner une réalité plus nuancée. Lors du dernier Festival Jazz à Toulon (été 2023), la mairie a recensé près de 40% de festivaliers de moins de 35 ans sur l’ensemble des dates (source : Ville de Toulon). Cela s’explique :

  • Par la programmation, qui ose les hybridations : soul, funk, électro-jazz, musiques du monde.
  • Par la variété des lieux (églises, places, salles polyvalentes), qui favorisent la découverte spontanée.
  • Et parce que le tissu associatif (collectifs de musiciens, écoles, maisons de quartier) multiplie les initiatives hors des cadres traditionnels.

Le jazz est à la mode chez les 18-35 ans de la région ? Disons qu’il a (re)trouvé une capacité d’insolence, souvent absente des scènes formatées. Cette appropriation générationnelle reste cependant fragile, tant elle dépend du renouvellement militant des programmateurs et de la viabilité économique des petites structures.

Éducation, transmission : la dynamique des écoles et associations

Le jazz toulonnais, ce n’est pas qu’un rendez-vous estival ou l’affaire de quelques passionnés. Il s’agit d’un travail de fond mené tout au long de l’année :

  • Le Conservatoire TPM propose, depuis 2009, un parcours jazz complet – solfège, improvisation, composition – et aligne ses élèves à la sortie sur des scènes locales.
  • Les ateliers des Maisons de la Jeunesse et de la Culture (MJC) et de l’association Jazz Friends multiplient les stages d’initiation et les masterclass (plus de 250 adhérents pour Jazz Friends en 2023, données de l’association).
  • Des fanfares jazz éphémères animent régulièrement fêtes de quartiers et événements associatifs, mêlant adultes, enfants et seniors dans le même souffle collectif.

La pédagogie toulonnaise ne se contente plus de reproduire le canon américain. Elle valorise les croisements avec d’autres cultures méditerranéennes et africaines, dans un vrai mouvement d’ouverture.

Quels défis ? Les fragilités et les besoins de la scène jazz locale

Tout n’est pas rose sous le ciel bleu du Var pour la scène jazz. On note :

  • Survie tendue des petits clubs : plusieurs lieux historiques, tels que le Jazz’O’Verre ou le Club 400, ont fermé ou réduit la voilure face à la pression immobilière et aux normes (source : Var Matin, 2023).
  • Difficultés de financement : la place donnée au jazz dans la programmation municipale reste modérée hors festival phare, avec peu de subventions pour les résidences d’artistes et les créations originales.
  • Visibilité médiatique limitée : la couverture presse hors événementiel reste faible, obligeant les collectifs locaux à redoubler d’efforts sur les réseaux sociaux et auprès des radios associatives (Radio Active fait un boulot remarquable sur le sujet).

De nombreux acteurs réclament une politique culturelle mieux distribuée : plus de scène intermédiaires, une meilleure synergie entre lieux, et la création d’une « Maison du Jazz » ouverte à tous, projet qui court toujours mais peine à sortir des cartons.

Où sort-on écouter du jazz aujourd’hui à Toulon ?

  • Jazz Corner Café (Mourillon) : concerts hebdomadaires, jam sessions, repaire de musiciens.
  • Art Bop Café (centre-ville) : jeune lieu à l’avant-garde, mélange concerts et expositions.
  • Le Royal (boulevard de Strasbourg) : salle historique, programmation ponctuelle de jazz, souvent lors de festivals.
  • Festivals satellites : « Jazz sur la Ville » (festival itinérant à l’échelle de la Métropole), initiatives open air
  • Maisons de quartier et médiathèques : cycles de concerts pédagogiques, rencontres avec des artistes.

Jazz toulonnais : influences et métissages d’aujourd’hui

La tendance actuelle, c’est l’effacement des frontières : beaucoup de formations locales préfèrent voir le jazz comme un langage commun, à hybridiser avec les sonorités africaines, latines, urbaines ou électroniques. Nombre de musiciens toulonnais jouent sur plusieurs terrains : on croise les mêmes à l’affiche d’un bal swing, d’un quartet gypsy ou d’une session électro au Télégraphe.

Cela se retrouve jusque dans la programmation des festivals : des têtes d’affiche du hip-hop (Oxmo Puccino, Sly Johnson) y côtoient saxophonistes bop ou groupes de jazz caribéen. Une orientation qui déplaît parfois aux puristes, mais attire une population nouvelle, moins fidèle à l’orthodoxie, plus en quête d’émotions brutes.

Panorama dynamique et perspectives

Le jazz à Toulon n’est pas simplement un « loisir culturel »: il constitue un terrain vivant où se rencontrent traditions, métissages et création. Soutenu par l’énergie d’une association d’acteurs résilients et des instants festifs qui réunissent le public, il survit et se réinvente, parfois à rebours d’une économie fragile. La ville pourrait, sans doute, lui donner un peu plus qu’un coup de projecteur estival. Mais la ferveur, elle, ne demande qu’à être partagée. Et si la prochaine génération faisait du jazz toulonnais sa nouvelle signature ?

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